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jeudi 20 janvier 2011
La parole de ceux qui nous ont précédés, 2
Anna-Marie nous a donné à lire plusieurs textes d'Edward Bond pour nourrir notre réflexion. Ce fut une agréable surprise. Bond a été en partie mon maitre en écriture. Je me suis senti longtemps très proche de son travail. Aujourd'hui encore, même si je me suis distancié de ses pièces, son corpus théorique sur le théâtre me semble un des plus importants qui soit. D'ailleurs je n'ai pas oublié sa leçon concernant le centre :
Une pièce est constituée d'un seul discours qui se répète de manière à pousser cette quête toujours plus loin. Chaque personnage s'empare du discours et le retravaille. Ce discours est le discours central (DC): il contient la thématique fondamentale de la pièce et reflète le rapport que les personnages, au moment où ils l'énoncent, entretiennent avec ce thème. Dès que l'occasion se présente, un personnage s'emparera du discours pour le pousser ensuite aussi loin que possible dans l'exploration de la thématique. Ce discours partira en quête des vérités que la pièce souhaite formuler. Dans le discours surgit d'ordinaire une réplique qui sera comme le seuil - spécifique à chacun - au-delà duquel le personnage ne peut plus pousser le discours, au stade où il en est. Souvent le discours se prolongera encore un temps. Il se fera alors l'écho réflexif de ce qui aura été révélé dans la réplique centrale du discours central. Il arrive aussi, souvent, que le ton change alors sensiblement - peut-être pour introduire de l'humour, de la parodie ou une espèce de didactisme lapidaire, comme si la révélation se répétait sous forme d'instructions ou de règles. La partie du discours qui précède la réplique centrale travaille pour s'en approcher d'une manière analytique. À moins que ce ne soit une poussée d'émotion - de douleur ou de bonheur - qui incite le discours (et le personnage) à se mettre en quête d'une nouvelle réplique centrale (RC). (Lettre à Alain Françon. L'intégralité de la lettre est ici http://remue.net/theatre/bond.html)
Dans Katharina, nous sommes amenés à nous positionner : sommes-nous du côté de la loi ou de la justice ? C’est à dire choisissons-nous d’accepter la réalité telle qu’elle est présenté par les puissants ou décidons-nous de la réfuter, quitte à en payer le prix ?
Chacun des personnages de la pièce est confronté à cette question (même et presque surtout celui de l’auteur). Les deux pôles extrêmes étant évidemment Katharina et le journaliste Tötges. Cette question se pose dans la manière de se déplacer, de toucher les objets, d’écouter les autres. Ce n’est pas une posture intellectuelle. Katharina n’est pas le personnage principal de la pièce. Elle n’est que le révélateur du rapport au monde des autres personnages. Ceux qui ne changent pas à son contact le font soit consciemment. Soit parce qu’ils sont trop corrompus. Même un Tötges est sincère quand il dit à Katharina à la fin de la pièce qu’il a beaucoup de respect pour elle. Dans la troisième scène d'interrogatoire entre Katharina et Beizmenne, il y a à l’origine une blessure de Beizmenne qui voudrait que Katharina lui fasse confiance. Qui voudrait qu’elle lui dise où se cache Götten (car il sait qu’elle sait où il est). C’est ce qui est important. Cet homme touché par cette femme qui voudrait qu’elle lui parle comme à un homme et non pas comme à un flic. C’est le refus de Katharina de le considérer comme un homme qui conduit Beizmenne à lui dire qu’elle sera responsable s’il arrive quelque chose à Götten. Voilà ce qui se passe dans cette scène. Mais c’est le résultat d’un processus complexe où Beizmenne est de plus en plus troublé. Perturbé par cette femme qu’il ne comprend pas. Qu’il ne peut pas comprendre. Vers la fin de la pièce, dans sa dernière scène avec Tötges, il finit par refuser le jeu du pouvoir et des compromissions qu’il disait pourtant accepter dans une scène précédente. Les questions importantes sont parfois très simples. Ce sont nos réponses qui sont souvent compliquées.
Extrait de Conseils aux acteurs :
Jugez la situation non selon le personnage ou ses actions
Un prisonnier mourant de faim donne du pain à un enfant
Le gardien donne du pain au même enfant
Il sait que demain l'enfant sera gazé
Le gardien est-il bon ? Il est fou
Mais son acte n'en est pas moins de la bonté ?
Non c'est un acte de folie
Le même acte a plusieurs significations
Il n'existe aucune âme commune à tous les hommes
Tout ce que nous avons en commun est la raison et certains hommes se servent de la raison pour justifier la folie
Alors donnez-nous à voir la situation
Ainsi pourrons-nous voir comment il se peut que vices et vertus
Circulent dans notre esprit sous de faux noms
Pendant qu'un homme sourit alors qu'il a un revolver dans le dos
Ou qu'un homme se déguise au poteau-frontière
Vous demandez est-ce un bandit ou un ami du peuple ?
N'espérez pas que son déguisement vous l'indique !
Extraits de L'énergie du sens :
Le théâtre n'existe pas en dehors d'une philosophie de la société - ce qui implique un décryptage de la société et de la nature humaine. Quand on y arrive, on sait pourquoi les choses sont sur le plateau ou dans le texte. Sinon on applique au texte une esthétique abstraite : on le fait fonctionner, au lieu de découvrir ce qui le fait fonctionner. Quiconque ayant un minimum de connaissance du théâtre peut faire fonctionner des choses sur un plateau. C'est tellement facile - que c'en est également honteux.
Nous pensons que l'esthétique est quelque chose qu'on impose à la scène - par des couleurs, des gestes, des sons... - mais ce n'est pas le cas. C'est l'analyse qui doit engendrer l'esthétique. L'analyse de la vie doit donc être mise sur la scène. Au lieu de concevoir l'esthétique comme quelque chose qu'on doit imposer au public, disons plutôt : le public est l'arène de l'esthétique. S'il doit y avoir un prisonnier au théâtre, ce devrait être l'acteur et pas le spectateur. L'acteur ne peut créer que lorsqu'il reconnaît le chaos dans lequel il est enfermé. Nous devons éviter que l'esthétique se réduise à la consommation.
Une pièce raconte en fin de compte aux acteurs, au metteur en scène et au public qui ils sont - du moins vis-à-vis de la pièce. Elle existe à travers leurs choix - pas à travers des découvertes secrètes du moi, mystérieusement révélatrice de sens. Elle dépend donc de la manière dont les interprètes comprennent le sens de leur vie personnelle - comment pourrais-je autrement représenter des personnages ? Cela suppose une philosophie de la société - consciemment ou non. L'acteur s'engage par un serment au public à dire la vérité. L'acteur aime être sur un terrain d'entente et d'écoute avec le public. Mais souvenez-vous, les spectateurs réagissent aux vérités inconfortables - à condition qu'à leurs yeux vous ayez mérité le droit de la leur dire. Bien sûr certaines personnes fuient la vérité. Ce n'est pas une raison pour les encourager avec des mensonges. A vous de décider, quand vous travaillez dans le théâtre, si vous vous souhaitez ou non gâcher votre vie.
Une pièce est constituée d'un seul discours qui se répète de manière à pousser cette quête toujours plus loin. Chaque personnage s'empare du discours et le retravaille. Ce discours est le discours central (DC): il contient la thématique fondamentale de la pièce et reflète le rapport que les personnages, au moment où ils l'énoncent, entretiennent avec ce thème. Dès que l'occasion se présente, un personnage s'emparera du discours pour le pousser ensuite aussi loin que possible dans l'exploration de la thématique. Ce discours partira en quête des vérités que la pièce souhaite formuler. Dans le discours surgit d'ordinaire une réplique qui sera comme le seuil - spécifique à chacun - au-delà duquel le personnage ne peut plus pousser le discours, au stade où il en est. Souvent le discours se prolongera encore un temps. Il se fera alors l'écho réflexif de ce qui aura été révélé dans la réplique centrale du discours central. Il arrive aussi, souvent, que le ton change alors sensiblement - peut-être pour introduire de l'humour, de la parodie ou une espèce de didactisme lapidaire, comme si la révélation se répétait sous forme d'instructions ou de règles. La partie du discours qui précède la réplique centrale travaille pour s'en approcher d'une manière analytique. À moins que ce ne soit une poussée d'émotion - de douleur ou de bonheur - qui incite le discours (et le personnage) à se mettre en quête d'une nouvelle réplique centrale (RC). (Lettre à Alain Françon. L'intégralité de la lettre est ici http://remue.net/theatre/bond.html)
Dans Katharina, nous sommes amenés à nous positionner : sommes-nous du côté de la loi ou de la justice ? C’est à dire choisissons-nous d’accepter la réalité telle qu’elle est présenté par les puissants ou décidons-nous de la réfuter, quitte à en payer le prix ?
Chacun des personnages de la pièce est confronté à cette question (même et presque surtout celui de l’auteur). Les deux pôles extrêmes étant évidemment Katharina et le journaliste Tötges. Cette question se pose dans la manière de se déplacer, de toucher les objets, d’écouter les autres. Ce n’est pas une posture intellectuelle. Katharina n’est pas le personnage principal de la pièce. Elle n’est que le révélateur du rapport au monde des autres personnages. Ceux qui ne changent pas à son contact le font soit consciemment. Soit parce qu’ils sont trop corrompus. Même un Tötges est sincère quand il dit à Katharina à la fin de la pièce qu’il a beaucoup de respect pour elle. Dans la troisième scène d'interrogatoire entre Katharina et Beizmenne, il y a à l’origine une blessure de Beizmenne qui voudrait que Katharina lui fasse confiance. Qui voudrait qu’elle lui dise où se cache Götten (car il sait qu’elle sait où il est). C’est ce qui est important. Cet homme touché par cette femme qui voudrait qu’elle lui parle comme à un homme et non pas comme à un flic. C’est le refus de Katharina de le considérer comme un homme qui conduit Beizmenne à lui dire qu’elle sera responsable s’il arrive quelque chose à Götten. Voilà ce qui se passe dans cette scène. Mais c’est le résultat d’un processus complexe où Beizmenne est de plus en plus troublé. Perturbé par cette femme qu’il ne comprend pas. Qu’il ne peut pas comprendre. Vers la fin de la pièce, dans sa dernière scène avec Tötges, il finit par refuser le jeu du pouvoir et des compromissions qu’il disait pourtant accepter dans une scène précédente. Les questions importantes sont parfois très simples. Ce sont nos réponses qui sont souvent compliquées.
Extrait de Conseils aux acteurs :
Jugez la situation non selon le personnage ou ses actions
Un prisonnier mourant de faim donne du pain à un enfant
Le gardien donne du pain au même enfant
Il sait que demain l'enfant sera gazé
Le gardien est-il bon ? Il est fou
Mais son acte n'en est pas moins de la bonté ?
Non c'est un acte de folie
Le même acte a plusieurs significations
Il n'existe aucune âme commune à tous les hommes
Tout ce que nous avons en commun est la raison et certains hommes se servent de la raison pour justifier la folie
Alors donnez-nous à voir la situation
Ainsi pourrons-nous voir comment il se peut que vices et vertus
Circulent dans notre esprit sous de faux noms
Pendant qu'un homme sourit alors qu'il a un revolver dans le dos
Ou qu'un homme se déguise au poteau-frontière
Vous demandez est-ce un bandit ou un ami du peuple ?
N'espérez pas que son déguisement vous l'indique !
Extraits de L'énergie du sens :
Le théâtre n'existe pas en dehors d'une philosophie de la société - ce qui implique un décryptage de la société et de la nature humaine. Quand on y arrive, on sait pourquoi les choses sont sur le plateau ou dans le texte. Sinon on applique au texte une esthétique abstraite : on le fait fonctionner, au lieu de découvrir ce qui le fait fonctionner. Quiconque ayant un minimum de connaissance du théâtre peut faire fonctionner des choses sur un plateau. C'est tellement facile - que c'en est également honteux.
Nous pensons que l'esthétique est quelque chose qu'on impose à la scène - par des couleurs, des gestes, des sons... - mais ce n'est pas le cas. C'est l'analyse qui doit engendrer l'esthétique. L'analyse de la vie doit donc être mise sur la scène. Au lieu de concevoir l'esthétique comme quelque chose qu'on doit imposer au public, disons plutôt : le public est l'arène de l'esthétique. S'il doit y avoir un prisonnier au théâtre, ce devrait être l'acteur et pas le spectateur. L'acteur ne peut créer que lorsqu'il reconnaît le chaos dans lequel il est enfermé. Nous devons éviter que l'esthétique se réduise à la consommation.
Une pièce raconte en fin de compte aux acteurs, au metteur en scène et au public qui ils sont - du moins vis-à-vis de la pièce. Elle existe à travers leurs choix - pas à travers des découvertes secrètes du moi, mystérieusement révélatrice de sens. Elle dépend donc de la manière dont les interprètes comprennent le sens de leur vie personnelle - comment pourrais-je autrement représenter des personnages ? Cela suppose une philosophie de la société - consciemment ou non. L'acteur s'engage par un serment au public à dire la vérité. L'acteur aime être sur un terrain d'entente et d'écoute avec le public. Mais souvenez-vous, les spectateurs réagissent aux vérités inconfortables - à condition qu'à leurs yeux vous ayez mérité le droit de la leur dire. Bien sûr certaines personnes fuient la vérité. Ce n'est pas une raison pour les encourager avec des mensonges. A vous de décider, quand vous travaillez dans le théâtre, si vous vous souhaitez ou non gâcher votre vie.
Katharina, extrait 3
C'est un sentiment très étrange quand la réalité finit par rejoindre la fiction. Dans Katharina, j'ai écrit un passage dans lequel je mets en avant le fait, que selon moi, dans la configuration actuelle de notre société, la personne qui s'immole en signe de protestation est le plus grand des révolutionnaires. L'évolution de la situation politique en Tunisie et dans d'autres pays du Maghreb semble me donner raison. Le suicide comme arme de combat.
J’ai imaginé l’histoire d’un homme
Une autre version de moi même
Qui entrerait en résistance
Il commencerait par échafauder différents scénarios de lutte armée
D’abord en groupe
Puis finalement seul
Plastiquer le siège de l’UBS
Foutre le feu à toutes les Migros
Enlever le patron de Rolex et le séquestrer dans une prison du peuple
Pour se rabattre sur une action encore plus spectaculaire et radicale
D’abord convoquer les médias
Télévision
Radio
Presse écrite
Lire une déclaration solennelle
Et s’immoler en direct
J’ai bien dit
S’immoler en direct
L’homme qui s’immole en signe de protestation est un révolutionnaire
L’homme qui s’immole en direct au téléjournal est le plus grand des révolutionnaires
Que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi s’immolent maintenant
Un acte inoubliable
Magnifique
Qui marquerait à jamais l’histoire du théâtre
J’ai imaginé l’histoire d’un homme
Une autre version de moi même
Qui entrerait en résistance
Il commencerait par échafauder différents scénarios de lutte armée
D’abord en groupe
Puis finalement seul
Plastiquer le siège de l’UBS
Foutre le feu à toutes les Migros
Enlever le patron de Rolex et le séquestrer dans une prison du peuple
Pour se rabattre sur une action encore plus spectaculaire et radicale
D’abord convoquer les médias
Télévision
Radio
Presse écrite
Lire une déclaration solennelle
Et s’immoler en direct
J’ai bien dit
S’immoler en direct
L’homme qui s’immole en signe de protestation est un révolutionnaire
L’homme qui s’immole en direct au téléjournal est le plus grand des révolutionnaires
Que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi s’immolent maintenant
Un acte inoubliable
Magnifique
Qui marquerait à jamais l’histoire du théâtre
mercredi 19 janvier 2011
La parole de ceux qui nous ont précédés, 1
Il y a toujours un moment où nous pensons réussir à être pleinement exigeant avec nous-même, à travailler sans relâche, à garder notre attention. Puis peu à peu, les choses finissent par se déliter et nous perdons le contact avec ce qui nous semblait important. C'est ce qui m'est arrivé ces derniers jours. J'ai moins soigné mon implication sur ce blog. Ma parole, c'est distendue. De cette errance, j'ai fait quelque chose. J'ai enfin lu les extraits de Il faut que le théâtre passe à travers les larmes de Klaus Michael Grüber que nous a confié Anne-Marie. Anne-Marie en plus d'être une actrice est une pédagogue. C'est la raison pour laquelle elle nous a donnés plusieurs textes en lien avec Katharina dont celui de Grüber. Grüber est probablement un des plus grands metteurs en scène du 20ième siècle. Il n'avait pas la réputation d'être une personne facile. J'ai vu pourtant le portrait d'un homme profondément humain dans ce livre qui regroupe certains de ses propos. Autre chose encore avec Grüber, un de mes plus grands regrets de théâtre est de ne pas avoir vu sa mise en scène de Splendid's de Jean Genêt.
Extraits :
Le metteur en scène, c'est quelqu'un qui élimine la peur des acteurs - ils sont pleins de peur - mais une fois la peur levée, ils deviennent tellement beaux... il faut beaucoup de chaleur pour lever cette peur. Comme j'ai la chance d'être un homme tellement faible, ils savent que je ne triche pas.
Conseils aux acteurs
Ayez toujours et encore le courage de vous dire que rien ne s'est passé avant et qu'il ne se passe rien après. Tout toujours dans l'instant, inventer la scène à nouveau.
Ce qui me dérange, c'est lorsque tu téléphones. C'est-à-dire que tu annonces à l'avance que tu arrives. Tout ce qui est préparé s'annihile.
On ne parvient aux limites de la folie qu'en pensant avec clarté.
De façon générale, prendre garde à la déconcentration des yeux, des pupilles, c'est à cela qu'on la ressent d'abord.
Ne pas faire comme si nous étions originaux.
Ne pas s'installer, élaborer - ne pas composer !
Ne pas penser en parlant.
Ne pas réfléchir au milieu de la phrase.
Toujours connaître la phrase avant, puis la dire sans artifices.
Faire l'expérience de la parole, non celle de la phrase.
Les phrases parlent pour elles-mêmes, vous n'avez pas besoin de les soutenir. Au moment où philosophie, psychologie ont droit de cité dans la pensée, cela devient ennuyeux.
Mordre dans les mots de façon hyperconcrète !
Plus la phrase est concise, plus elle résonne.
Il n'y a pas de règles pour les silences.
N'ayez pas peur du rien, vous ne devez pas faire du remplissage !
Ce qui arrive arrive...
Il n'y a rien derrière les rôles. Mon rêve et mon souhait se situent au-delà de toute interprétation. Confusion totale, totale nouveauté.
J'ai souvent le sentiment qu'il serait plus juste d'écouter la pièce, de la lire, que de la monter.
Extraits :
Le metteur en scène, c'est quelqu'un qui élimine la peur des acteurs - ils sont pleins de peur - mais une fois la peur levée, ils deviennent tellement beaux... il faut beaucoup de chaleur pour lever cette peur. Comme j'ai la chance d'être un homme tellement faible, ils savent que je ne triche pas.
Conseils aux acteurs
Ayez toujours et encore le courage de vous dire que rien ne s'est passé avant et qu'il ne se passe rien après. Tout toujours dans l'instant, inventer la scène à nouveau.
Ce qui me dérange, c'est lorsque tu téléphones. C'est-à-dire que tu annonces à l'avance que tu arrives. Tout ce qui est préparé s'annihile.
On ne parvient aux limites de la folie qu'en pensant avec clarté.
De façon générale, prendre garde à la déconcentration des yeux, des pupilles, c'est à cela qu'on la ressent d'abord.
Ne pas faire comme si nous étions originaux.
Ne pas s'installer, élaborer - ne pas composer !
Ne pas penser en parlant.
Ne pas réfléchir au milieu de la phrase.
Toujours connaître la phrase avant, puis la dire sans artifices.
Faire l'expérience de la parole, non celle de la phrase.
Les phrases parlent pour elles-mêmes, vous n'avez pas besoin de les soutenir. Au moment où philosophie, psychologie ont droit de cité dans la pensée, cela devient ennuyeux.
Mordre dans les mots de façon hyperconcrète !
Plus la phrase est concise, plus elle résonne.
Il n'y a pas de règles pour les silences.
N'ayez pas peur du rien, vous ne devez pas faire du remplissage !
Ce qui arrive arrive...
Il n'y a rien derrière les rôles. Mon rêve et mon souhait se situent au-delà de toute interprétation. Confusion totale, totale nouveauté.
J'ai souvent le sentiment qu'il serait plus juste d'écouter la pièce, de la lire, que de la monter.
samedi 8 janvier 2011
Journal, épisode 6
Jour 12 - Plateau de la Comédie
Nous sommes le 3 janvier et nous sommes enfin réunis sur le plateau de la Comédie. C'est une nouvelle aventure qui commence. La première tache est d'apprivoiser l'espace. De comprendre comment fonctionne ce plateau avec toute sa machinerie. L'équipe technique s'est fortement renforcé avec la présence d'une partie du personnel permanent de la Comédie. C'est vraiment tout un petit monde qui doit apprendre à travailler ensemble. Edwige est la fée qui se charge d'organiser les déplacements du décor sur le plateau. C'est assez impressionnant de voir le plateau s'ouvrir en deux et l'appartement de Katharina Blum progressivement glisser vers nous. On a l'impression d'être face à Moïse qui par la grâce de Dieu a fait s'écarter la Mer Rouge. Un nouvel espace, c'est aussi une nouvelle appréhension du son. Les comédiens doivent maitriser leur voix sur le plateau. L'espace la modifie. Il y a des endroits du plateau où il suffit de parler simplement pour les derniers rangs de spectateurs puissent entendre le texte. Et d'autres endroits où la voix doit être poussée. C'est tout un apprentissage. Car la voix par sa texture, sa tonalité est presque autant porteuse de sens que les mots en eux-mêmes.
Jour 13 - Jour 14 - Studio de la Comédie
J'ai décidé de délaisser un peu les répétitions proprement dite et de seulement profiter du training physique proposé par Dominique. C'est un training à base SaoLim, un art martial qui sauf erreur de ma part provient de Malaisie. C'est en tout cas, dans ce pays que Dominique a été formé. Après une heure de training intensif, je me sens un peu démuni. J'ai un sens de la coordination profondément limité. S'il m'est facile de taper vite un texte sur un ordinateur, je n'en dirai pas autant sur ma capacité à enchainer deux ou trois mouvements différents. Néanmoins c'est un moment passionnant. Je continue de penser qu'un comédien doit parfaitement maitriser son outil corporel. Car la tenue dans l'espace, la manière d'aborder le plateau disent souvent plus que n'importe quel texte.
Jour 15 - Plateau de la Comédie
Anne continue d'essayer de trouver un agencement qui lui convienne pour les scènes. Ce soir, les dix premières scènes de ce nouvel agencement sont passées en revue dans un enchainement par moments intense en d'autres très relaché. C'est évidemment comme un nouveau spectacle par rapport à la salle Caecilia. Le vrai décor est là maintenant. Je suis particulièrement séduit par la mise en place de la scène entre Else et Konrad. Il y a une sobriété qui donne tout son sens à la scène. Personnellement je ne chercherais pas à faire de Konrad un personnage ridicule. Car s'il est ridicule ou drôle, c'est par ce qu'il dit, non pas du fait de son attitude physique ou de sa manière de parler. Mais tout cela peut encore changer. L'absence de la scène des voisins me manquent profondément dans ce début. Je sais qu'Anne a choisi de la placer plus tard. Mais c'est comme s'il me manquait des éléments pour mieux comprendre la trajectoire de Katharina. Pour autant, même si je ne suis pas d'accord avec ce qui est fait et que je le signale parfois, je continue de laisser une entière liberté à Anne et aux comédiens. Je ne suis que le spectateur de cette histoire, un spectateur actif mais un spectateur quand même. Je suis en train de cristalliser le texte dans une version qui me convienne pleinement. Je n'y intègrerai pas les changements et les nouvelles coupes déjà faites ou à venir pour lesquelles je n'ai pas été consultées.
Je suis attentif au travail vidéo de Jean-Luc. Son homme primitif apparait de plus en plus souvent dans les scènes. Il y a quelque chose de l'ordre de l'inconscient qui agit avec ce personnage. Pour ma part, j'ai l'impression d'y voir la manifestation de notre mauvaise conscience. Son omniprésence rend les scènes très étranges et même inquiétantes. Les premières fois que Jean-Luc l'a utilisé, je trouvais ça plutôt anecdotique. Mais la récurrence de ses apparitions ont transformé la donne. Par contre, malgré mon amour profond pour mon chat, je ne suis pas forcément persuadé qu'il ait sa place en vidéo pendant les scènes de l'auteur. Il faut parfois sacrifier ce qu'on aime pour le bien du spectacle.
L'univers sonore mis en place par Jean-Baptiste est très prometteur et cohérent. Il y a une scène où je trouve son travail très particulièrement subtile. C'est pendant une des scènes d'interrogatoire de Katharina où elle décrit ses errances en voiture.
Jour 16 - Plateau de la Comédie
Je sens en arrivant peu avant 20h que la journée a été difficile. Plusieurs personnes me le disent. Je ne cherche pas à savoir ce qui s'est passé exactement. Au final, ça ne m'intéresse que moyennement. Ce qui m'inquiète un peu plus, c'est de savoir que du coup, ils n'ont que peu avancé et qu'il n'y aura pas de bout à bout de la deuxième moitié du spectacle. Juste un enchainement de quatre scènes dont celle très raccourcie des voisins. Son traitement en vidéo et masqué comme pour le carnaval est très réussi. J'ai un peu le blues ce soir comme si je ressentais un peu l'état émotionnel d'une partie de l'équipe. Ils sont censé travailler les scènes suivantes. Tout est très laborieux. Finalement la répétition s'arrête assez subitement alors que je m'apprêtais à partir. Je me retrouve dans la loge des comédiens à trainer sans trop savoir pourquoi et à prendre des photos. C'est un peu irréel comme moment et en même temps très beau. Anne-Marie nous montre des masques qu'elle se proposait d'utiliser. Il y a comme un défilé étrange de personnes masquées. Les conversations vont et viennent sur un rythme un peu décousu. Je finis par me lever et partir. Je ne reviendrai pas avant pratiquement un semaine. Lundi matin, départ pour Paris et d'autres activités.
Nous sommes le 3 janvier et nous sommes enfin réunis sur le plateau de la Comédie. C'est une nouvelle aventure qui commence. La première tache est d'apprivoiser l'espace. De comprendre comment fonctionne ce plateau avec toute sa machinerie. L'équipe technique s'est fortement renforcé avec la présence d'une partie du personnel permanent de la Comédie. C'est vraiment tout un petit monde qui doit apprendre à travailler ensemble. Edwige est la fée qui se charge d'organiser les déplacements du décor sur le plateau. C'est assez impressionnant de voir le plateau s'ouvrir en deux et l'appartement de Katharina Blum progressivement glisser vers nous. On a l'impression d'être face à Moïse qui par la grâce de Dieu a fait s'écarter la Mer Rouge. Un nouvel espace, c'est aussi une nouvelle appréhension du son. Les comédiens doivent maitriser leur voix sur le plateau. L'espace la modifie. Il y a des endroits du plateau où il suffit de parler simplement pour les derniers rangs de spectateurs puissent entendre le texte. Et d'autres endroits où la voix doit être poussée. C'est tout un apprentissage. Car la voix par sa texture, sa tonalité est presque autant porteuse de sens que les mots en eux-mêmes.
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Dominique Falquet |
J'ai décidé de délaisser un peu les répétitions proprement dite et de seulement profiter du training physique proposé par Dominique. C'est un training à base SaoLim, un art martial qui sauf erreur de ma part provient de Malaisie. C'est en tout cas, dans ce pays que Dominique a été formé. Après une heure de training intensif, je me sens un peu démuni. J'ai un sens de la coordination profondément limité. S'il m'est facile de taper vite un texte sur un ordinateur, je n'en dirai pas autant sur ma capacité à enchainer deux ou trois mouvements différents. Néanmoins c'est un moment passionnant. Je continue de penser qu'un comédien doit parfaitement maitriser son outil corporel. Car la tenue dans l'espace, la manière d'aborder le plateau disent souvent plus que n'importe quel texte.
Jour 15 - Plateau de la Comédie
Anne continue d'essayer de trouver un agencement qui lui convienne pour les scènes. Ce soir, les dix premières scènes de ce nouvel agencement sont passées en revue dans un enchainement par moments intense en d'autres très relaché. C'est évidemment comme un nouveau spectacle par rapport à la salle Caecilia. Le vrai décor est là maintenant. Je suis particulièrement séduit par la mise en place de la scène entre Else et Konrad. Il y a une sobriété qui donne tout son sens à la scène. Personnellement je ne chercherais pas à faire de Konrad un personnage ridicule. Car s'il est ridicule ou drôle, c'est par ce qu'il dit, non pas du fait de son attitude physique ou de sa manière de parler. Mais tout cela peut encore changer. L'absence de la scène des voisins me manquent profondément dans ce début. Je sais qu'Anne a choisi de la placer plus tard. Mais c'est comme s'il me manquait des éléments pour mieux comprendre la trajectoire de Katharina. Pour autant, même si je ne suis pas d'accord avec ce qui est fait et que je le signale parfois, je continue de laisser une entière liberté à Anne et aux comédiens. Je ne suis que le spectateur de cette histoire, un spectateur actif mais un spectateur quand même. Je suis en train de cristalliser le texte dans une version qui me convienne pleinement. Je n'y intègrerai pas les changements et les nouvelles coupes déjà faites ou à venir pour lesquelles je n'ai pas été consultées.
Je suis attentif au travail vidéo de Jean-Luc. Son homme primitif apparait de plus en plus souvent dans les scènes. Il y a quelque chose de l'ordre de l'inconscient qui agit avec ce personnage. Pour ma part, j'ai l'impression d'y voir la manifestation de notre mauvaise conscience. Son omniprésence rend les scènes très étranges et même inquiétantes. Les premières fois que Jean-Luc l'a utilisé, je trouvais ça plutôt anecdotique. Mais la récurrence de ses apparitions ont transformé la donne. Par contre, malgré mon amour profond pour mon chat, je ne suis pas forcément persuadé qu'il ait sa place en vidéo pendant les scènes de l'auteur. Il faut parfois sacrifier ce qu'on aime pour le bien du spectacle.
L'univers sonore mis en place par Jean-Baptiste est très prometteur et cohérent. Il y a une scène où je trouve son travail très particulièrement subtile. C'est pendant une des scènes d'interrogatoire de Katharina où elle décrit ses errances en voiture.
Jour 16 - Plateau de la Comédie
Je sens en arrivant peu avant 20h que la journée a été difficile. Plusieurs personnes me le disent. Je ne cherche pas à savoir ce qui s'est passé exactement. Au final, ça ne m'intéresse que moyennement. Ce qui m'inquiète un peu plus, c'est de savoir que du coup, ils n'ont que peu avancé et qu'il n'y aura pas de bout à bout de la deuxième moitié du spectacle. Juste un enchainement de quatre scènes dont celle très raccourcie des voisins. Son traitement en vidéo et masqué comme pour le carnaval est très réussi. J'ai un peu le blues ce soir comme si je ressentais un peu l'état émotionnel d'une partie de l'équipe. Ils sont censé travailler les scènes suivantes. Tout est très laborieux. Finalement la répétition s'arrête assez subitement alors que je m'apprêtais à partir. Je me retrouve dans la loge des comédiens à trainer sans trop savoir pourquoi et à prendre des photos. C'est un peu irréel comme moment et en même temps très beau. Anne-Marie nous montre des masques qu'elle se proposait d'utiliser. Il y a comme un défilé étrange de personnes masquées. Les conversations vont et viennent sur un rythme un peu décousu. Je finis par me lever et partir. Je ne reviendrai pas avant pratiquement un semaine. Lundi matin, départ pour Paris et d'autres activités.
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Julien George, Jean-Louis Johannides |
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Julie Cloux |
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Valérie Oberson, Edwige Dallemagne, Jean-Louis Johannides |
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Jeanne Pasquier |
vendredi 31 décembre 2010
Les recettes de tante Else
Faire du théâtre, c'est bien. Mais manger, ce n'est pas mal non plus. Pour éviter que ces petits camarades meurent de faim, Anne-Marie, la tante de Katharina dans la pièce a préparé un délicieux gâteau aux carottes dont voici la recette :
300 gr de carottes râpées
300 gr de sucre
300 gr de noisettes moulues
5 œufs
5 cuillères à soupe de farine
2 petites cuillères de poudre à lever
3 cuillères à soupe d’eau tiède
Le zeste d’un citron
300 gr de sucre
300 gr de noisettes moulues
5 œufs
5 cuillères à soupe de farine
2 petites cuillères de poudre à lever
3 cuillères à soupe d’eau tiède
Le zeste d’un citron
- Mélanger le tout (de préférence avec les mains. C’est pas très régulier. Mais ça va plus vite.)
- Mettre dans un moule à manquer de 24 cm de diamètre – bien beurré. Il ne faut pas que ça colle.
- Faire cuire pendant environ 45 minutes – four à 200°c
- Mettre dans un moule à manquer de 24 cm de diamètre – bien beurré. Il ne faut pas que ça colle.
- Faire cuire pendant environ 45 minutes – four à 200°c
Le gâteau se garde au moins trois jours. Plus il est vieux, meilleur il est. Il n’y a pas de beurre donc ce n'est pas un souci pour la ligne. Une vraie recette allemande.
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Anne-Marie Delbart aka Tante Else et ses petits camarades |
Katharina, extrait 2
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Gilles Tschudi |
Appartement de Katharina Blum.
Elle est en robe de chambre. Elle prend son petit déjeuner.
Elle est en robe de chambre. Elle prend son petit déjeuner.
LA RADIO. – ont annoncé que c’est en fin de matinée que la terroriste Ulrike Meinhof devrait être transférée à la prison de Stammheim à Stuttgart dans la nouvelle aile de haute sécurité conçue pour accueillir les prisonniers de la Fraction armée rouge. D’importantes forces de police seront déployées pour assurer la sécurité du transfert. C’est dans l’enceinte de cette prison ultramoderne que se déroulera dans les prochains mois le procès des terroristes. Plusieurs voix se sont élevées pour.
KATHARINA change de fréquence.
LA RADIO. – envahi les rues de Cologne où le carnaval bat son plein. La ville s’est parée de ses plus belles couleurs pour accueillir des touristes de toute l’Allemagne. Le carnaval est devenu au fil des années un événement incontournable. Les retombées économiques de la manifestation sont importantes pour la région. Ecoutons le témoignage.
KATHARINA change de fréquence.
LA RADIO. – troupes américaines finiront d’évacuer le Vietnam dans les prochaines semaines. Le président Nixon a récemment exprimé sa volonté.
KATHARINA change de fréquence.
LA RADIO. – s’apprête à lancer un nouveau modèle sur le marché. La Golf a pour vocation de remplacer la célèbre Coccinelle chère au cœur des allemands. Ses performances sont impressionnantes. Elles sont l’exemple du savoir faire.
KATHARINA change de fréquence.
LA RADIO. – un immense avantage de jouer devant notre peuple. A déclaré hier au soir sur notre antenne Franz Beckenbauer. La rénovation des stades qui accueilleront les matches de la coupe du monde dès le 13 juin est pratiquement terminée. La Fédération internationale de football s’est réjouie.
KATHARINA change de fréquence.
LA RADIO. – Continuons maintenant notre programme avec l’Allegro du Quintette pour piano et clarinette en La Majeur K. 581 de Wolfgang Amadeus Mozart. Cette œuvre a été achevée de composer à Vienne le 29 septembre 1789 par un Mozart rongé par les dettes et l’incompréhension du public. Ce quintette est dédié à Anton Stadler, clarinettiste et facteur d’instrument. C’est Jack Brymer assisté du Quatuor Allegri qui nous délivre cette interprétation datée de 1969.
La porte d’entrée s’ouvre avec fracas. PLUSIEURS POLICIERS en tenue de commando, visages casqués, font irruption dans l’appartement. LE POLICIER 1 arrache Katharina de sa chaise et la plaque violemment au sol. Il lui pointe son arme sur le visage en lui faisant signe de se taire. Dans le même temps, LES AUTRES POLICIERS se déploient méthodiquement dans l’appartement.
LE POLICIER 2 s’approche du POLICIER 1. Lui adresse un signe de tête négatif.
LE POLICIER 1 saisit KATHARINA par le bras droit et la relève.
LE COMMISSAIRE BEIZMENNE entre.
Journal, épisode 6
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Jean-Louis Johannides |
Je ne vais à Caecilia qu'à 19h30. Ce soir, c'est le premier bout à bout. Un bout à bout, c'est comme son nom l'indique une mise à la suite des différentes scènes du texte pour avoir une première idée d'à quoi pourrait ressembler le spectacle. Autant dire que c'est plutôt difficile, long, décousu, sans véritable colonne vertébrale. Je me demande par moment ce que je fais là. Je prends des notes sur chacune des scènes. Par moment, j'attends que ça passe. Ce n'est pas que c'est mauvais. C'est tout simplement pas ça. Je dis avec la conscience que les premiers bout à bout sont souvent catastrophiques. Ce n'est donc pas grave si celui-là l'est. Ça fait parti du jeu. Le plus important est de savoir quoi en faire et de ne pas rester sur un sentiment d'échec. Et puis, il y a toujours des choses à sauver, quelques pistes qui émergent qu'il faut continuer à explorer. Au final, je ressors plutôt détendu de cette expérience. Rentré à la maison, je revois mes notes avant de les envoyer par courriel à Anne. Elle y répondra le lendemain matin en allant le plus souvent dans le même sens que moi.
Jour 11 - Salle Caecilia
Deuxième bout à bout ce soir. Stephanie m'appelle 15 minutes seulement avant qu'il commence. Évidemment je suis en retard. J'arrive à 19h04. La première scène a déjà débuté. Il faut que je m'installe. Sorte mon ordinateur. Mon texte. J'ai l'impression de faire un bruit d'enfer. Je m'attends à chaque seconde qu'Anne me dise d'arrêter de bouger. Je me sens comme un enfant. Le silence a tellement été sacralisé au théâtre. Je l'ai tellement intégré que je me sens presque coupable de respirer. Je comprends très vite que ce soir, ce sera complètement différent d'hier. Après la première scène, il devrait y avoir une des scènes de l'auteur. Mais je me retrouve avec un bout de la scène des voisins puis celle que j'ai nommée Les Blorna font du ski. Je décide de ne prendre aucune note ce soir. De simplement écrire l'agencement des scènes qu'a choisi Anne. Les scènes défilent avec la récurrence de la scène des voisins. Je me dis qu'Anne a supprimé les scènes de l'auteur. Je me demande comment je dois réagir si c'est le cas. Je finis par conclure que ce n'est pas grave. C'est à ce moment que Jean-Louis entame justement le texte de l'auteur. C'est beaucoup plus simple et direct que toutes les dernières propositions. Le texte file plus vite. L'humour est plus présent. C'est incontestablement plus intéressant. Les scènes de Tötges ont intégré une caméra. Julien qui joue Töges me prend comme cobaye pour la première scène. Je vois mon visage mal rasé et fatigué sur grand écran. Je suis à la limite de repousser Julien. J'accepte néanmoins cette épreuve pour le "bien" du spectacle. Si c'est la solution choisie, il faudra que Julien sente bien les spectateurs pour éviter de les laisser développer un malaise inutile. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de penser que ce dispositif sert la thématique de la pièce et que l'utilisation de la caméra relie les années 1970 à aujourd'hui. Je suis progressivement séduit par cette proposition de nouvel agencement des scènes. J'ai la sensation que tout est plus clair. La récurrence de la scène des voisins est une bonne piste. Au final, le bout à bout a duré 20 minutes de moins que la veille. Soit deux heures. Ce qui laisse présager un spectacle 1h45.
Après un conciliabule avec son équipe, Anne donne quelques notes aux comédiens. Je les sens plutôt fatigués. Anne décide de ne pas travailler le lendemain. La reprise se fera donc le 3 janvier sur le plateau de la Comédie avec le texte parfaitement su s'il vous plait. Nous quittons la salle Caecilia après avoir trinqué avec un délicieux spumante. Fin de la première partie de l'aventure. C'est maintenant sur le plateau que tout va se jouer. Il y a encore beaucoup à faire.
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Anne-Marie Delbart, Jean-Louis Johannides |
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Gilles Tschudi, Céline Bolomey |
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Jean-Louis Johannides, Coraline Clément |
Journal, épisode 5
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Jean-Luc Marchina, Jean-Baptiste Bosshard, Jonathan O'Hear |
Travailler dans l'institution et pas dans le théâtre indépendant présente de nombreux avantages. Un des plus importants, c'est la possibilité offerte de travailler très tôt avec toute l'équipe de création du spectacle. Depuis pratiquement les premiers jours de répétitions, Jean-Luc (vidéo), Jean-Baptiste (son), Jonathan (lumières) sont présents. Ils ont entamé à leur manière un dialogue avec le texte, avec les comédiens, avec Anne. Ce confort qu'offre l'institution est à préserver. Cette possibilité de ne pas travailler toujours avec des bouts de ficelle et dans l'urgence. C'est ce qui m'avait touché dans ma résidence la saison précédente à la Comédie. C'est un formidable réservoir de compétence. Pouvoir discuter avec l'équipe technique. Comprendre leur vocabulaire. Leur manière de travailler. Malgré cette enthousiasme, je dois convenir que je suis assez discret et que mes échanges avec Jean-Luc, Jean-Baptiste et Jonathan se limitent le plus souvent au strict minimum.
Jour 8 - Salle Caecilia
Le début de la journée est consacrée à la première scène. Anne a décidé d'évacuer tout réalisme dans le traitement de la scène. L'axe central de cette première scène est l'irruption du monde extérieur dans l'univers de Katharina avec toute la brutalité que cela implique. Katharina est dans sa cuisine. Elle prend son petit déjeuner. Elle glisse sur plusieurs stations de radio avant de s'arrêter sur une qui diffuse du Mozart. La police fait irruption chez elle et brise l'harmonie. Anne demande à Jean-Louis de lire les didascalies sur scène. Les différentes voix de la radio sont aussi prises en charge par les comédiens sur scène. L'irruption de la police dans l'intérieur bien rangé de Katharina se fait juste avec deux comédiens qui se déplacent sur un mode proche du slow motion. Pour l'instant, je ne sais pas quoi penser de ce traitement. Je ne comprends pas dans quelle mesure, il met en scène cette irruption de brutalité dans la vie de Katharina, élément fondamental dans la compréhension de la suite de son parcours. Pendant que j'écrivais encore le texte, nous avons beaucoup discuté avec Anne sur les écueils à éviter avec cette scène. Mes premières versions du texte n'étaient que de pales copies de film de série B. Le théâtre ne pourra jamais rivaliser avec le cinéma. Il doit agir sur d'autres terrains. Pour autant, faut-il pousser la déconstruction jusqu'à une extrême stylisation ? A qui parlons-nous ? Le temps nous dira si la piste élaborée par Anne est concluante.
Pendant toute la journée, Jean-Luc fait de nombreux essais avec la vidéo. Pour garder une trace, il prend régulièrement des photos. Par moments, il monte sur le plateau pour repositionner les caméras. Il est très actif. On dirait un enfant. Il a quasiment en permanence un léger sourire sur le visage. C'est un plaisir de le regarder travailler. Chercher. Peu importe que ces propositions me laissent parfois sceptiques. L'utilisation de la vidéo sur une scène de théâtre est toujours problématique. Comment ne pas être redondant ? Comment utiliser un média pour ce qu'il véhicule de sens spécifique ? Allez. Il reste du temps pour répondre à toutes ces questions.
Jour 9 - Salle Caecilia
Anne propose aux comédiens de mixer deux scènes de la pièce. De les jouer de manière simultanée. Elle dicte un découpage très précis. Cette proposition n'est pas juste une lubie de metteur en scène tout puissant. Les deux scènes se déroulent dans le même espace (le commissariat) quasiment en même temps. Ainsi à la confrontation entre le commissaire Beizmenne et Else, la tante de Katharina répond le dialogue entre Katharina et Pletzer. A la discussion politique répond la thématique de l'honneur perdu. Les premiers essais sur le plateau, même s'ils sont assez laborieux dans la mise en place, sont concluants.
Plus je regarde les répétitions, plus j'ai l'impression que la pièce pourrait se passer de décor. Qu'il s'agit avant tout de la confrontation de corps sur scène. D'une lutte permanente. Accepter ou non la fiction que nous propose les puissants. Par moments, ça me pèse de voir toujours les comédiens s'assoir ou se lever des chaises de ce commissariat made in 1974. Trop souvent, ils adoptent l'attitude typique qu'on attend d'eux dans ce genre d'espace. C'est à dire qu'ils se conforment à un certain univers télévisuel ou filmique. Leurs poses, leurs mouvements me renvoient à un imaginaire que je n'ai pas envie de voir au théâtre. Disons plutôt que cela manque pour moi de distance critique. Travailler sur des codes n'est pas un problème, il faut savoir ce que nous en faisons.
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Gilles Tschudi, Anne-Marie Delbart |
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Julie Cloux, Céline Bolomey |
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Julie Cloux, Jean-Louis Johannides, Céline Bolomey |
jeudi 23 décembre 2010
Journal, épisode 4
Jour 6 - Salle Caecilia
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Gilles Tschudi, Céline Bolomey |
La première partie de la journée est consacrée aux scènes dans le commissariat avec le commissaire Beizmenne, son adjointe Pletzer et Katharina. Anne essaie de se dissocier de tout le décorum habituel des scènes d'interrogatoire. Elle ne travaille pas sur un plan réaliste. Les regards ne se croisent pas. Les mouvements sont géométriques. Il y a déjà des choses très belles. De vrais moments de grâce. Le texte qui se développe. Qui s'inscrit dans le corps des comédiens devient plus fort. Nous sommes loin du cinéma et de son pseudo-réalisme. Je suis touché par la douceur qu'amène, par moments, Julie dans le rôle de Pletzer. Il y a quelque chose pour moi de très juste. La douceur est une force. Du moins, c'est ce que je pense. Elle ouvre un espace de proximité et d'échanges. Comment faire comprendre que les scènes ne sont que des instantanés très délimités de tout l'interrogatoire de Katharina (qui dure plusieurs heures) ? C'est une des questions qu'ils auront à répondre.
Ensuite, ils reviennent sur la scène tchékovienne avec une première proposition de mise en place dans le décor. Quel est l'axe de la scène ? Que dit-elle ? Sur nous ? Sur la société ? Sur notre refus d'affronter ce qui nous fait peur ? Nous déplait ? Comme le dit, Anne-Marie, tout est encore trop éclaté. Patience. Patience.
Note : Évidemment ma chronologie dans ce Journal ne prend en compte que les jours où je travaille sur Katharina.
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Anne Bisang, Coraline Clément, Anne-Marie Delbart, Jean-Louis Johannides, Julien George et le mannequin. |
mercredi 22 décembre 2010
Scènes imaginaires de répétitions, 2
UNE COMÉDIENNE OU UN COMÉDIEN et JÉRÔME.
COMÉDIENNE/COMÉDIEN
Ah, Shakespeare
Shakespeare
C'est quelque chose Shakespeare
Quel auteur
Quelle puissance
Quelle imagination
On n'a rien fait de mieux depuis Shakespeare
Sincèrement
Tu n'es pas d'accord ?
Juste son nom est une promesse
Shakespeare
Écoute comme ça sonne
Cette perfection
C'est extraordinaire
Et puis les histoires qu'il a écrites
Les personnages qu'il a inventés
Le roi Lear
Macbeth
Lady Macbeth
Hamlet
Falstaff
Roméo
Juliette
Prospéro
Caliban
Et Richard III
J'oubliais Richard III
Quel caractère
Quelle vitalité
Jouer Shakespeare pour un acteur, c'est quelque chose
Une consécration
Un cadeau
Dire ses mots
S'en délecter
Les laisser fondre dans la bouche
Et en délivrer toute la saveur
S'il te plait
Ne te vexe pas
Tu écris certes
Oui
On peut dire que tu écris
Mais sincèrement Shakespeare
Shakespeare nom de dieu
JÉRÔME
Euh, j'ai placé une citation d'Hamlet dans la pièce
Dans la bouche du personnage de l'auteur
Vers la fin
Je ne te sais pas si tu t'en souviens
COMÉDIENNE/COMÉDIEN
D'accord
D'accord
Tu t'es glissé sous son ombre
Tu as voulu profiter de son aura
Mais Shakespeare
Shakespeare
Ça c'est quelque chose
COMÉDIENNE/COMÉDIEN
Ah, Shakespeare
Shakespeare
C'est quelque chose Shakespeare
Quel auteur
Quelle puissance
Quelle imagination
On n'a rien fait de mieux depuis Shakespeare
Sincèrement
Tu n'es pas d'accord ?
Juste son nom est une promesse
Shakespeare
Écoute comme ça sonne
Cette perfection
C'est extraordinaire
Et puis les histoires qu'il a écrites
Les personnages qu'il a inventés
Le roi Lear
Macbeth
Lady Macbeth
Hamlet
Falstaff
Roméo
Juliette
Prospéro
Caliban
Et Richard III
J'oubliais Richard III
Quel caractère
Quelle vitalité
Jouer Shakespeare pour un acteur, c'est quelque chose
Une consécration
Un cadeau
Dire ses mots
S'en délecter
Les laisser fondre dans la bouche
Et en délivrer toute la saveur
S'il te plait
Ne te vexe pas
Tu écris certes
Oui
On peut dire que tu écris
Mais sincèrement Shakespeare
Shakespeare nom de dieu
JÉRÔME
Euh, j'ai placé une citation d'Hamlet dans la pièce
Dans la bouche du personnage de l'auteur
Vers la fin
Je ne te sais pas si tu t'en souviens
COMÉDIENNE/COMÉDIEN
D'accord
D'accord
Tu t'es glissé sous son ombre
Tu as voulu profiter de son aura
Mais Shakespeare
Shakespeare
Ça c'est quelque chose
Journal, épisode 3
Jour 5 - Foyer de la Comédie :
C'est Noël ou plutôt c'est apéro de Noël au foyer de la Comédie. En dehors de l'aspect festif, cet apéro à un intérêt : Faire se rencontrer l'équipe du spectacle avec l'équipe du théâtre. Un spectacle se joue dans un lieu et ils important que les gens se connaissent. Se rencontrent. Échangent. C'est la meilleure manière pour œuvrer ensemble à la réalisation du meilleure spectacle possible. Une pièce de théâtre, ce n'est pas seulement des acteurs sur scène. C'est toute une équipe qui travaille derrière. Qui s'active souvent des mois à l'avance pour rendre le spectacle possible. Pour prendre un exemple extrême, disons que Senajida Arnautovic, qui est chargée de l'entretien et du ménage à la Comédie est tout aussi importante que Céline Bolomey qui joue le rôle de Katharina dans la pièce. Si Senajida Arnautovic décide la veille de la première de ne pas effectuer son travail, Céline Bolomey pourrait le lendemain glisser sur une surface graisseuse et se casser une jambe. Katharina aurait moins fière allure avec une jambe dans le plâtre. Certains répondront que ce n'est pas la même chose. Qu'une femme de ménage peut être remplacée tandis qu'une comédienne non. Bien sûr presque tout le monde est capable de faire le ménage. Mais comment remplacer des années d'expérience dans un lieu ? Cette connaissance acquise qui nous permet de savoir ce qui est prioritaire dans notre travail. Un théâtre comme la Comédie, c'est une vieille maison. Il faut savoir en prendre soin.
Et puis qui a dit qu'une comédienne est irremplaçable ?
C'est Noël ou plutôt c'est apéro de Noël au foyer de la Comédie. En dehors de l'aspect festif, cet apéro à un intérêt : Faire se rencontrer l'équipe du spectacle avec l'équipe du théâtre. Un spectacle se joue dans un lieu et ils important que les gens se connaissent. Se rencontrent. Échangent. C'est la meilleure manière pour œuvrer ensemble à la réalisation du meilleure spectacle possible. Une pièce de théâtre, ce n'est pas seulement des acteurs sur scène. C'est toute une équipe qui travaille derrière. Qui s'active souvent des mois à l'avance pour rendre le spectacle possible. Pour prendre un exemple extrême, disons que Senajida Arnautovic, qui est chargée de l'entretien et du ménage à la Comédie est tout aussi importante que Céline Bolomey qui joue le rôle de Katharina dans la pièce. Si Senajida Arnautovic décide la veille de la première de ne pas effectuer son travail, Céline Bolomey pourrait le lendemain glisser sur une surface graisseuse et se casser une jambe. Katharina aurait moins fière allure avec une jambe dans le plâtre. Certains répondront que ce n'est pas la même chose. Qu'une femme de ménage peut être remplacée tandis qu'une comédienne non. Bien sûr presque tout le monde est capable de faire le ménage. Mais comment remplacer des années d'expérience dans un lieu ? Cette connaissance acquise qui nous permet de savoir ce qui est prioritaire dans notre travail. Un théâtre comme la Comédie, c'est une vieille maison. Il faut savoir en prendre soin.
Et puis qui a dit qu'une comédienne est irremplaçable ?
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Nicolas Castanier (chef technique), Jonathan O'Hear |
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Christine Ferrier (chargée de communication), Julien George |
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Coraline Clément, Anne-Marie Delbart |
dimanche 19 décembre 2010
Scènes imaginaires de répétitions, 1
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Julien George, Jérôme Richer |
JÉRÔME prend des notes.
GILLES
J'ai 53 ans
Ce qui fait que j'avais 17 ans en 1974
L'année de la parution de L'honneur perdu de Katharina Blum
J'en avais 18 en 1975 quand le film est sorti
Je ne suis pas allemand
Je suis suisse
C'est important de dire que je suis suisse
Je suis devenu comédien
Très vite je suis devenu comédien
J'ai intégré une école
Après mon diplôme, je suis parti en Allemagne
Vivre en Allemagne
Travailler en Allemagne
J'ai intégré une troupe permanente
J'ai tout joué
Ce que décrit le livre de Böll
Ce dont parle ta pièce
Je l'ai vécu
Véritablement vécu
J'étais en Allemagne dans la deuxième moitié des années 1970
J'ai habité dans un appartement communautaire
Mes colocataires étaient des sympathisants de la RAF
La Fraction Armée Rouge
Ils étaient engagés
Ils étaient militants
Souvent il y avait des réunions dans notre appartement
On me priait d'aller ailleurs
Où je voulais mais ailleurs
Ils fouillaient ma chambre
S'assuraient que je n'allais pas trahir
Les dénoncer
Des lois existaient pour inciter à la délation
Je ne les ai pas trahis
Je ne les ai pas dénoncé
Je n'ai pas posé de bombes non plus
Je dis
Je n'ai pas posé de bombes
Sans savoir s'ils en ont eux-mêmes posés
C'était un autre temps
Une autre époque
Très jeune, j'ai participé à des manifestations
Mon frère m'emmenait avec lui
Mon frère a cinq ans de plus que moi
Il a toujours été très engagé politiquement
Je suis allé manifester dans le Larzac
Je suis allé manifester à Bonn pour la paix
Je suis allé à Avignon
JULIEN
Pour le festival ?
GILLES
Ne m'interromps pas
Je déteste quand tu m'interromps
Si tu veux que ça se passe bien entre nous
Si tu veux que les répétitions se déroulent dans une atmosphère agréable
Ne m'interromps pas
JULIEN
Excuse-moi.
GILLES
Donc
Je suis allé à Avignon
Je suis allé en Afrique aussi
J'étais membre d'un comité de soutien à l'Afrique
Je suis allé au Mozambique
J'étais au Mozambique le 25 juin 1975
Le jour de l'indépendance
Je suis passé par l'Afrique du Sud pour y aller
J'étais jeune et un peu inconscient
J'ai rencontré un pasteur suisse raciste
Je me souviens qu'il m'a dit
Après un an en Afrique, tu es obligé d'être raciste
C'était quelque chose
Tous ces gens dans les rues
Leur joie
Leurs rires
JULIEN (après un temps assez long)
Tu veux aussi que je te raconte mon voyage en Afrique ?
JÉRÔME
Tais-toi s'il te plait.
samedi 18 décembre 2010
Katharina, extrait 1
AUJOURD’HUI – PEUT-ÊTRE L’ENFER
Je n'aurais jamais dû accepter cette commande
Plutôt
Je n'aurais jamais dû proposer d'écrire ce texte
C’est ma faute
Disons plutôt
C’est mon besoin de reconnaissance
Ou plutôt
C’est mon besoin de fric
Ou encore mieuxC’est mon besoin viscéral d’amour couplé à ma peur de manquer de fric qui m’ont conduit à lui dire
Si tu cherches quelqu’un pour écrire ce texte, je suis là
S’il y a quelqu’un dans ton entourage capable d’écrire ce texte, c’est moi
Je veux dire
J’ai lu le roman
Je peux encore te le raconter
C’est si rare que je me souvienne d’un roman que j’ai lu
Intérieurement je me disais
Bravo
Tu as osé
Tu es un winner
Plus tard, ma femme m’a dit
Bravo
Je suis fière de toi
Tu es un winner
Même mes enfants m’ont dit
Bravo
Tu es un super papa
Tu es un winner
J’aurais dû renoncer quand elle me l’a suggéré
Il n’est pas trop tard pour revenir en arrière
Je comprendrais si tu décidais de ne pas écrire ce texte
Moi qui venais de lui tenir un discours sur la nécessité impérieuse pour un auteur d’écrire uniquement sur ce qui le touche au plus profond de son être
Ce qui le remue physiquement
Pas seulement intellectuellement
Je n'aurais jamais dû accepter cette commande
Plutôt
Je n'aurais jamais dû proposer d'écrire ce texte
C’est ma faute
Disons plutôt
C’est mon besoin de reconnaissance
Ou plutôt
C’est mon besoin de fric
Ou encore mieuxC’est mon besoin viscéral d’amour couplé à ma peur de manquer de fric qui m’ont conduit à lui dire
Si tu cherches quelqu’un pour écrire ce texte, je suis là
S’il y a quelqu’un dans ton entourage capable d’écrire ce texte, c’est moi
Je veux dire
J’ai lu le roman
Je peux encore te le raconter
C’est si rare que je me souvienne d’un roman que j’ai lu
Intérieurement je me disais
Bravo
Tu as osé
Tu es un winner
Plus tard, ma femme m’a dit
Bravo
Je suis fière de toi
Tu es un winner
Même mes enfants m’ont dit
Bravo
Tu es un super papa
Tu es un winner
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Angela Winkler dans L'honneur perdu de Katharina Blum |
Il n’est pas trop tard pour revenir en arrière
Je comprendrais si tu décidais de ne pas écrire ce texte
Moi qui venais de lui tenir un discours sur la nécessité impérieuse pour un auteur d’écrire uniquement sur ce qui le touche au plus profond de son être
Ce qui le remue physiquement
Pas seulement intellectuellement
Ce qui lui bouleverse les tripes
Lui met la tête à l’envers.
Je veux dire ce roman
L’honneur perdu de Katharina Blum
Que représente-t-il pour moi ?
Il est paru l’année de ma naissance
C’est un fait
Un film a été réalisé d’après le roman
C’est un fait
A Berlin, j’ai croisé Angela Winkler qui jouait le rôle de Katharina Blum dans le film
C’est un fait
J’ai une boule dans le ventre quand j’en parle aujourd’hui
C’est un fait
J’ai peur d’être incapable d’écrire ce texte
C’est un fait
Lui met la tête à l’envers.
Je veux dire ce roman
L’honneur perdu de Katharina Blum
Que représente-t-il pour moi ?
Il est paru l’année de ma naissance
C’est un fait
Un film a été réalisé d’après le roman
C’est un fait
A Berlin, j’ai croisé Angela Winkler qui jouait le rôle de Katharina Blum dans le film
C’est un fait
J’ai une boule dans le ventre quand j’en parle aujourd’hui
C’est un fait
J’ai peur d’être incapable d’écrire ce texte
C’est un fait
Journal, épisode 2
Jour 4 - Salle Caecilia
J'arrive en retard. L'équipe a entamé la fin de l'étude du texte sans moi. Ils en sont trois scènes avant la fin. La scène que je qualifie de familiale ou tchékovienne. Cette appellation de tchékovienne est bien trouvée. Il fait très froid dans la salle. Nous pourrions être dans un de ces vieux théâtres délabrés de l'ancienne union soviétique. La plupart des comédiens ont gardés leurs manteaux, leurs écharpes et pour certains leurs bonnets. Nous buvons tous du thé ou du café pour nous réchauffer. Une discussion autour du personnage de Konrad, probablement le personnage pour lequel j'ai le plus d'affection, nous conduit à parler de livres pour enfants par la grâce d'une comparaison entre Konrad et un certain Monsieur Patate. Il y a un peu de déconcentration dans l'air. Des rires fusent. Il nous faut du temps avant de retrouver le chemin du texte.
Stephanie Janin nous fait un exposé sur l'évolution du concept d'honneur à travers l'histoire. C'est très intéressant. Pour ma part, c'est une notion que je manie avec des pincettes. Contrairement à Böll, je n'utilise le mot qu'une seule fois dans la pièce et je l'ai complètement évacué du titre. Il y a quelque chose, pour moi, de complètement archaïque dans la défense de son honneur. Il faudrait que je prenne plus de temps pour réfléchir précisément à la question.
Nous finissons enfin la lecture du texte. Après une petite pause, les comédiens montent sur le plateau de la salle Caecilia. Anne leur demande d'improviser sur le premier monologue de l'auteur. Par moment, le texte sonne très juste. Mais le plus souvent, il se cherche encore. Anne reprend le travail et donne des consignes plus précises. Le début, à mon sens, commence très très bien. Après ça se dilue encore. C'est assez difficile pour moi. Je dois mettre de côté le fait que je ne suis pas seulement auteur mais aussi metteur en scène. J'ai des intuitions sur la manière de traiter ce texte. Rien de très concret. Juste des pistes. Je dois apprendre à me taire. Laisser le bébé grandir sans moi comme on dit. Je m'occupe de trier les photos que j'ai prise tout en suivant le travail d'une oreille. Il faut vraiment qu'on décide avec Anne les moments où je viens. Enfin je crois.
Jour 5 - Mon bureau
Je suis seul face au texte. Je le relis. Je le corrige sur mon ordinateur. Je décide de pratiquer encore à quelques nouveaux changements. Toujours essentiellement des coupes. Que le texte ne dise pas tout surtout. Qu'il laisse de la place aux comédiens. Aux lumières. A la vidéo. Au son. Nous sommes le 18 décembre. Ce sera donc la version du 18 décembre après celle d'octobre 2010.
J'arrive en retard. L'équipe a entamé la fin de l'étude du texte sans moi. Ils en sont trois scènes avant la fin. La scène que je qualifie de familiale ou tchékovienne. Cette appellation de tchékovienne est bien trouvée. Il fait très froid dans la salle. Nous pourrions être dans un de ces vieux théâtres délabrés de l'ancienne union soviétique. La plupart des comédiens ont gardés leurs manteaux, leurs écharpes et pour certains leurs bonnets. Nous buvons tous du thé ou du café pour nous réchauffer. Une discussion autour du personnage de Konrad, probablement le personnage pour lequel j'ai le plus d'affection, nous conduit à parler de livres pour enfants par la grâce d'une comparaison entre Konrad et un certain Monsieur Patate. Il y a un peu de déconcentration dans l'air. Des rires fusent. Il nous faut du temps avant de retrouver le chemin du texte.
Stephanie Janin nous fait un exposé sur l'évolution du concept d'honneur à travers l'histoire. C'est très intéressant. Pour ma part, c'est une notion que je manie avec des pincettes. Contrairement à Böll, je n'utilise le mot qu'une seule fois dans la pièce et je l'ai complètement évacué du titre. Il y a quelque chose, pour moi, de complètement archaïque dans la défense de son honneur. Il faudrait que je prenne plus de temps pour réfléchir précisément à la question.
Nous finissons enfin la lecture du texte. Après une petite pause, les comédiens montent sur le plateau de la salle Caecilia. Anne leur demande d'improviser sur le premier monologue de l'auteur. Par moment, le texte sonne très juste. Mais le plus souvent, il se cherche encore. Anne reprend le travail et donne des consignes plus précises. Le début, à mon sens, commence très très bien. Après ça se dilue encore. C'est assez difficile pour moi. Je dois mettre de côté le fait que je ne suis pas seulement auteur mais aussi metteur en scène. J'ai des intuitions sur la manière de traiter ce texte. Rien de très concret. Juste des pistes. Je dois apprendre à me taire. Laisser le bébé grandir sans moi comme on dit. Je m'occupe de trier les photos que j'ai prise tout en suivant le travail d'une oreille. Il faut vraiment qu'on décide avec Anne les moments où je viens. Enfin je crois.
Jour 5 - Mon bureau
Je suis seul face au texte. Je le relis. Je le corrige sur mon ordinateur. Je décide de pratiquer encore à quelques nouveaux changements. Toujours essentiellement des coupes. Que le texte ne dise pas tout surtout. Qu'il laisse de la place aux comédiens. Aux lumières. A la vidéo. Au son. Nous sommes le 18 décembre. Ce sera donc la version du 18 décembre après celle d'octobre 2010.
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Coraline Clément, Julien George, Julie Cloux |
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Jean-Louis Johannides |
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Anne Bisang |
vendredi 17 décembre 2010
Journal, épisode 1
Jour 1 - Studio de la Comédie
Nous commençons par une séance photo. C'est Hélène Tobler qui se charge de faire les portraits des comédiens et de moi. Comme toujours, je déteste être pris en photo. Si j'écris et ne suis pas comédien, c'est bien parce que je peux me cacher derrière mes textes. Hélène plaisante avec moi sur le sujet. Elle aussi n'aime pas être prise en photo.
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Julie Cloux, Anna Heck, Anne Bisang. |
J'ai l'impression d'être sur un tournage de film. Il y a une très longue attente avant que la répétition débute véritablement. Je m'impatiente un peu. Heureusement Gilles Tschudi, qui sera le commissaire Beizmenne dans la pièce, me raconte quelques-uns de ses souvenirs de jeune adulte dans l'Allemagne des années 70. Sa vie dans une maison habitée par des sympathisants de la Fraction Armée Rouge. Ses premières manifestations. Son départ à 17 ans pour le Mozambique au moment de son indépendance.
Lecture du texte enfin. Certains ont déjà le ton très assuré. Pour d'autres, c'est plus difficile. J'en profite pour apporter quelques modifications au texte. Il est par moment un peu trop bavard. Il s'agit de couper quelques phrases pour laisser plus de place au jeu des comédiens.
Nous nous quittons vers 18h. Finalement la journée a été courte. Sensation d'inachevé.
Jour 2 - Studio de la Comédie
J'ai l'impression que nous rentrons véritablement dans le vif du sujet. Nous reprenons la lecture de la pièce au début. Nous nous arrêtons à la fin de chaque scène. Anne en précise sa vision. Je suis là pour pointer quelques éléments importants. Je continue de couper le texte. C'est parfois peu de chose. Mais j'ai remarqué qu'enlever trois ou quatre mots suffit souvent à donner plus de force à un passage. Les silences, les espaces entre les mots prennent plus d'importance, deviennent des éléments du dialogue.
Je suis content de remarquer que le texte tient le coup. Il plie un peu par moment. Mais il est toujours debout.
La question du terrorisme fascine les comédiens. Ce n'est pourtant pas le sujet principal de la pièce. C'est plutôt son enveloppe. Son contexte. Je suis amené à apporter quelques précisions sur la Fraction Armée Rouge. Sur Andreas Baader. Sur Ulrike Meinhof. Il est important de prendre garde à ne pas mettre cette question du terrorisme trop en avant. Je ne peux pas reprocher aux comédiens leur intérêt. Je suis moi-même pleinement baigné dans cette question du terrorisme des années 1970. Que faire après l'échec de tous ces mouvements armés ? Quelle utopie proposer ?
Jour 3 - Mon appartement
Jean-Luc Marchina, le vidéaste du spectacle, a pris rendez-vous à la maison pour me filmer. Je ne suis pas très emballé par sa proposition. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de trop personnifier le texte de l'auteur dans la pièce. J'ai l'impression que cela mettrait l'ensemble à distance. Je me prête néanmoins à cette épreuve. Il est important de rester ouvert. J'estime qu'il sait ce qu'il fait.
Je lui propose de filmer aussi mon chat, Barnabé, ce qu'il accepte. C'est assez étrange. Depuis longtemps, je me dis qu'il faudrait que j'intègre mon chat à un spectacle et là, ce sera peut-être le cas. Jean-Luc parle de lui comme du huitième acteur. Barnabé a le sens de la caméra. De l'image. Il m'énerve.
Jour 3 - Studio de la Comédie
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Julien George, Julie Cloux. |
Nous continuons la lecture du texte. L'ambiance se détend. Les échanges deviennent plus conviviaux. Je m'aperçois, ce dont je me doutais, que la plupart des questions de la pièce touche intimement les comédiens. C'est une bonne chose. Cela leur permettra plus facilement de s'approprier la matière du texte quand ils commenceront le travail sur le plateau.
Stephanie Janin, qui fait office de dramaturge avec moi, apporte quelques éclairages très intéressants sur mon texte. Des éléments auxquels je n'avais pas pensé et qui pourtant me semblent très juste. En particulier sur la question du pouvoir dans la pièce et sur la faculté de Katharina de révéler aux autres personnages leur rapport au pouvoir.
Au cours d'une pause, je fais une petite visite sur la plateau de la Comédie. L'équipe technique est déjà en train de mettre en place les premiers éléments du décor. C'est assez émouvant. Je voudrais immortaliser ce moment en photo. Mais je suis incapable d'allumer mon appareil. C'est normal. Je me suis trompé d'emplacement pour le bouton marche/arrêt. La technologie n'est pas avec moi.
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